Le voyageur, le charme du pittoresque et le progrès des sciences : Alexander von Humboldt (1769-1859)

Authors

  • Marcello Tanca Department of Literature, Languages and Heritage, University of Cagliari, Cagliari, Italy

Abstract

Dans “ L’Homme et la Terre ”, Éric Dardel réfléchit au concept d’inquiétude géographique : il s’agit – il explique – du premier et bouleversant sentiment d’émerveillement ressenti par un être humain face au monde. C’est la motivation qui déclenche la curiosité et, par conséquent, l’envie “ de courir le monde, de franchir les mers, d’explorer les continents ”. Si je devais donner un exemple concret et historiquement incarné de cette “ géographie en acte ” (comme Dardel l’appelle), de ce désir de connaître l’inconnu et atteindre l’inaccessible, je crois qu’il n’y a pas de meilleur choix qu’Alexandre de Humboldt. Décrit par ses contemporains comme l’homme le plus célèbre de son époque, Humboldt est “ le savant qui, dans la première moitié du siècle dernier, a réussi à convaincre la bourgeoisie européenne et américaine d’apprendre les sciences naturelles ” (Farinelli, 1992, p. 203). En fait, il n’était pas simplement un scientifique et un explorateur mais bien plus encore. Bien sûr, comme on le sait, entre 1799 et 1804 il explora les territoires des colonies hispano-américaines avec Aimé Jacques Alexandre Bonpland (1773-1858) en dessinant, entre autres, la première carte du système fluvial du Rio Orénoque. Mais ici je voudrais me concentrer brièvement sur sa écriture ; une écriture très moderne, d’un type nouveau, à la fois rigoureuse et sensible, et qui implique une stratégie rhétorique et communicative : l’écriture du monde pour Humboldt représente l’outil pour rendre intelligible le monde pour le plus grand nombre (Péaud, 2021). Comme le rappelle Franco Farinelli (Farinelli, 1981 et 1987), Humboldt est animé par un projet à la fois scientifique et politique, dont il hérite du siècle des Lumières : la prise du pouvoir par la bourgeoisie et simultanément l’affirmation de la culture scientifique comme outil de compréhension du monde. Ce sont deux processus complémentaires et convergents. L’un met fin à la fracture entre société civile et État, cause et symptôme de la subordination politique à l’ancien système aristocratique-féodal ; l’autre au caractère purement esthétique et littéraire de la culture bourgeoise, cause et symptôme de la subalternité culturelle par rapport à l’ancien système aristocratique-féodal. L’écriture constitue un élément central de cette opération : elle sert à capter l’attention du lecteur et à façonner son imaginaire. C’est Humboldt lui-même qui nous le dit.

References

Dardel E., L’Homme et la Terre. Nature de la realité géographique, Paris, Presses Uni-versitaires de France, 1952.

Farinelli F., “Storia del concetto geografico di paesaggio”, in Maldonado T. (Ed.), Pae-saggio: immagine e realtà. Catalogo della mostra omonima, Milan, Electa, 1981, pp. 151-158.

Farinelli F., “Epistemologia e geografia”, in Corna Pellegrini G. (Ed.), Aspetti e proble-mi della geografia, Settimo Milanese, Mar-zorati, 1987, pp. 3-37.

Farinelli F., I segni del mondo. Immagine cartografica e discorso geografico in età moderna, Florence, La Nuova Italia, 1992.

Humboldt A. von, Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent, fait en 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804, par Al. de Humboldt et A. Bonpland; rédigé par Alexandre de Humboldt. Avec deux Atlas, Tome premier, Paris, Schoell, 1814.

Humboldt A. von, Cosmos. Essai d’une description physique du monde. Traduit par H. Faye, Tome premier, Paris, Gide et J. Baudry, 1855.

Humboldt A. von, Briefe von Alexander von Humboldt an Varnhagen von Ense: aus den Jahren 1827 bis 1858, Leipzig, Brockhaus, 1860.

Péaud L., “Du style et de la langue chez Alexander von Humboldt”, Annales de géo-graphie, 739-740, 2021, pp. 60-79.

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Published

2024-06-14

Issue

Section

Teachings from the past (ed. by Dino Gavinelli and Davide Papotti)